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Appel completÀ l’instar de la production culturelle contemporaine, la littérature de jeunesse n’échappe pas au courant actuel d’hybridation et de métissage des arts et des médias. Les phénomènes de transmédialité, d’intermédialité et de transmédiatisation prennent en effet une ampleur considérable dans nos pratiques culturelles. Ces notions, mobilisées par plusieurs disciplines (sciences de l’information, études littéraires, études cinématographiques) et dans des cadres théoriques divers, reçoivent des définitions différentes selon leurs contextes d’emploi, mais témoignent toujours du fait que l’hypertextualité définie par Genette (1982) a dépassé le seuil des textes écrits et englobe les œuvres dans un mouvement d’ensemble, qui les voit circuler d’un média à l’autre, sans que la littérature soit nécessairement première ou occupe une place singulière. Le phénomène de polyexploitation remonte au moins au xixe siècle (Letourneux, 2008), mais il revêt une importance particulière dans le paysage éditorial et commercial actuel, d’une part par son caractère massif, d’autre part par le resserrement temporel qui peut aller jusqu’à l’émergence simultanée de formes médiatiques diverses d’une même œuvre. Les jeunes bénéficient de la possibilité de retrouver le même monde fictionnel sous plusieurs formes : dans des romans, des bandes dessinées, des mangas, des jeux-vidéos, des séries et/ou des films, au cœur de jeux de société ou de jeux de rôle, ou encore sous l’apparence de figurines ou de jouets. Le public peut alors s’immerger dans un univers qu’il affectionne au travers de médias différents, renouveler le plaisir de la fiction en redécouvrant les aventures des personnages sur d’autres supports, en multipliant les rencontres qui permettent parfois l’entretien d’une relation fanique vis-à-vis des personnages et de l’univers, en favorisant la circulation entre postures de lecteur, spectateur, joueur, auteur de fanfiction. Ce gout de l’itération et du ressassement (Eco, 1993) est favorisé par la technologie moderne et la numérisation de l’environnement, qui véhiculent et modifient les formes des médias, qu’ils aient préexisté ou non à l’apparition du numérique. La facilité d’accès à de multiples canaux de diffusion et l’écranisation des pratiques de loisirs contribuent ainsi au déploiement plurimédiatique d’univers fictionnels, désormais ancré dans les politiques de production et attendu du public.
Le but de la Quatrième Biennale de la littérature de jeunesse[1] est d’éclairer les enjeux de l’inscription de la littérature de jeunesse dans une culture transmédiatique sur les plans de la création, de la réception et de la médiation.
1er axe : création transmédiatique Si les dimensions économiques de la polyexploitation des fictions pour la jeunesse ont déjà été explorées, il nous semble qu’il est encore possible d’apporter des éclairages sur la manière dont les phénomènes d’inter- ou de transmédialité influent sur les pratiques de création et de narration (Cayatte et Goudmand, 2020). En effet, il n’est plus seulement question aujourd’hui d’adapter une œuvre en la transposant dans un autre système sémiotique, mais aussi souvent de la penser d’emblée dans sa dimension intersémiotique. On sera ainsi particulièrement attentif à tous les phénomènes d’hybridation qui traversent les œuvres contemporaines pour la jeunesse. Au cœur d’une production de l’industrie culturelle marquée par l’adaptation et la sérialité (Letourneux, 2017), il s’agira d’investir la question de l’intermédialité plus précisément du point de vue de la littérature de jeunesse : si certains auteurs de littérature de jeunesse se cantonnent à un registre moral de mise en garde contre les dangers des images, des écrans ou des pratiques numériques, d’autres auteurs semblent profiter pleinement de la dimension exploratoire propre à une littérature moins codifiée que la littérature générale (Hautbout et Wit, 2021). On pourra ainsi prolonger la réflexion amorcée lors du colloque intitulé La littérature de jeunesse dans le jeu des cultures matérielles et médiatiques : circulation, adaptations, mutations (Letourneux et Lévêque, 2014) en se demandant si la littérature de jeunesse ouvre la voie à des nouveaux objets transmédiatiques ou à des processus créatifs différents de ce qu’on observe en littérature générale.
2e axe : réception transmédiatique Les cheminements de réception des jeunes au sein des fictions transmédiatiques méritent d’être interrogés : que se passe-t-il lorsqu’on lit une œuvre avant d’en voir l’adaptation filmique, ou lorsqu’on découvre un univers fictionnel par le jeu vidéo ? Comment la temporalité de la réception, qui rétablit une nécessaire successivité, est-elle affectée par la dimension contemporaine de l’offre transmédiatique ? Dans la lignée des travaux menés sur les postures de réception du joueur (gameplay) et du lecteur (Bourassa et Poissant, 2013 ; Besson, Prince, Bazin, 2016), on peut s’interroger plus généralement sur les formes d’identification et d’immersion fictionnelle induites par les différents médias : on sait par exemple que la narration à la première personne est très rarement retenue par les récits iconiques ou visuels, alors qu’elle est fréquente en littérature ou dans le jeu vidéo. Enfin, on constate que le développement des cultures fans (cosplay, fanfictions, jeux de rôle, écritures numériques), qui brouillent les frontières entre pratiques amateures et professionnelles, rend ténue la ligne de partage entre création et réception, induisant une activité critique et productive du public qui mérite d’être analysée dans la perspective de la notion de participation (Jenkins, 2006).
3e axe : médiation transmédiatique De nombreux professionnels, dans l’éducation formelle et non-formelle, ressentent aujourd’hui la nécessité d’intégrer à l’enseignement de la littérature, et plus largement des arts, les dimensions transmédiatiques. Celles-ci s’avèrent toutefois source de déstabilisation pour les enseignants (Brunel, Acerra, Lacelle, 2023), ou sont perçues, au sein de l’institution scolaire ou des institutions culturelles, comme une concession faite aux pratiques culturelles des jeunes ou comme une simple propédeutique à l’enseignement de formes culturelles plus légitimes (Raux, 2023). Quels apprentissages la culture transmédiatique, désormais légitimée par les mondes universitaires et culturels, suppose-t-elle et permet-elle de soutenir ? L’adoption d’une perspective inter- ou transmédiatique peut-elle développer des compétences pour la réception de la spécificité de chaque média ainsi que des « compétences multimodales » (Acerra et Lacelle, 2022) ? Si la réception de ces cultures nécessite des compétences expertes, quels dispositifs pourraient-ils permettre de les enseigner ? Quelles formations faudrait-il mettre en place pour accompagner les enseignants et les médiathécaires qui souhaitent didactiser ou médiatiser ces corpus transmédiatiques ? Repères bibliographiques : ACERRA, Eleonora et LACELLE, Nathalie. (2022). « Compétences en #LMM ». Lab-yrinthe. https://lab-yrinthe.ca/education/competences-lmm BARONI, Raphaël et GUNTI, Claus. (dir). (2020). Introduction à l’étude des cultures numériques. La transition numérique des médias, Paris, Armand Colin. BESSON, Anne. (2015). Constellations. Des mondes fictionnels dans l’imaginaire contemporain, Paris, CNRS Éditions. BESSON, Anne, PRINCE, Nathalie et BAZIN, Laurent. (dir.). (2016). Mondes fictionnels, mondes numériques, mondes possibles. Adolescence et culture médiatique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes. BOURASSA, Renée et POISSANT, Louise. (2013). Avatars, personnages et acteurs virtuels, Presses de l’Université du Québec. BRUNEL, Magali, ACERRA, Eleonora et LACELLE,Nathalie. (2023). « Enseigner la littérature numérique au secondaire, entre innovation et sédimentation : analyse de cas autour d’une recherche collaborative », Tréma [Online], 59, Online since 10 May 2023, URL : http://journals.openedition.org/trema/8090; DOI: https://doi.org/10.4000/trema.8090 CAYATTE, Rémi et GOUDMAND, Anaïs (dir). (2020). « Approches transmédiales du récit dans les fictions contemporaines », Cahiers de Narratologie, 37. CONNAN-PINTADO, Christiane et BEHOTEGUY, Gilles. (2020). Littérature de jeunesse au présent (2). Genres graphiques en question(s), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux. ECO, Umberto. (1993). De superman à superhomme, Paris, Grasset. ETIENNE, Bénédicte et MONGENOT, Christine. (dir.). (2023). La transmodalisation : ressource pour lire le texte littéraire ? Le français aujourd’hui, n° 220. GENETTE, Gérard. (1982) Palimpsestes : la littérature au second degré. Paris, Seuil. GAUDREAULT, André et GROENSTEEN, Thierry. (dir.). (1998). La Transécriture. Pour une théorie de l'adaptation. Littérature, cinéma, bande dessinée, théâtre, clip. Colloque de Cerisy. Québec, Nota bene / Angoulême, Centre national de la bande dessinée et de l'image. HAUTBOUT, Isabelle et WIT, Sébastien. (2021). Jeu vidéo et romanesque, Romanesques, Revue du Cercll, Paris, Classiques Garnier. JENKINS, Henry. (2014). La culture de la convergence. Des médias au transmédia, Paris, Armand Colin. LEBRUN, Monique, LACELLE, Nathalie, BOUTIN, Jean-François. (2012). La littératie médiatique multimodale, Presses universitaires de Québec. LETOURNEUX, Matthieu. (2009). « Littérature de jeunesse et culture médiatique », Nathalie Prince (dir.), La littérature de jeunesse en question(s), Rennes, Presses universitaires de Rennes. LETOURNEUX, Matthieu. (2017). Fictions à la chaîne. Littératures sérielles et culture médiatique, Paris, Éditions du Seuil. LOUICHON, Brigitte. (2017). La réception scolaire des œuvres patrimoniales ou les Objets Sémiotiques Secondaires à l’école. Legoff F., Fourtanier M.-J. (2017). Les Formes plurielles des écritures de la réception, vol I : Genres, espaces et formes. Namur : Presses Universitaires de Namur, “ Diptyque ”. (hal-01696362) MAIGRET, Éric. (2005). Penser les médiacultures, Paris, Armand Colin. MAIGRET, Éric et STEFANELLI, Matteo. (dir.). (2012). La bande dessinée : une médiaculture, Paris, Armand Colin. MOINARD, Pierre. (2019). « Partages de rencontres avec des narrations d’hier et d’aujourd’hui sur des forums et des blogs d’apprentis lecteurs. Quels usages des récits pour quels apprentissages ? », Pratiques, n°181-182.https://journals.openedition.org/pratiques/6217 MÜLLER, Jürgen Ernst. (2000). « L’intermédialité, une nouvelle approche interdisciplinaire : perspectives théoriques et pratiques à l’exemple de la vision de la télévision ». Cinémas [en ligne], vol. 10, n°2-3, [réf. du 26 octobre 2007], p. 105-134. Disponible sur : https://www.erudit.org/fr/revues/cine/2000-v10-n2-3-cine1881/024818ar/ MÜLLER, Jürgen Ernst. (2006). « Vers l'intermédialité Histoires, positions et options d'un axe de pertinence ». MédiaMorphoses [en ligne], n°16, [réf. du 23 mars 2009], p. 99-110. Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/memor_1626-1429_2006_num_16_1_1138 OCTOBRE, Sylvie. (2017). « L’enfant et les techno-cultures : mutations culturelles et transformations sociales », Pratiques [En ligne], 2017 [mis en ligne le 22 décembre 2017, consulté le 07 juin 2018], n°175-176. Disponible sur : http://journals.openedition.org/pratiques/3554 RAUX, Hélène. (2023). La bande dessinée en classe de français. Un objet disciplinaire non identifié, Rennes, Presses universitaires de Rennes. SAINT-GELAIS, Richard. (2011). Fictions transfuges : la transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Seuil. Comité d’organisation : Sonia Castagnet-Caignec, CY Cergy Paris Université, sonia.castagnet-caignec@cyu.fr Béatrice Ferrier, Université d’Artois, beatrice.ferrier@univ-artois.fr Isabelle de Peretti, Université de Lille et Université d’Artois, isabelle.deperetti@univ-artois.fr Virginie Tellier, CY Cergy Paris Université, virginie.tellier@cyu.fr
Comité scientifique : Eleonora Acerra, Université du Québec à Montréal Raphaël Baroni, Université de Lausanne Sandrine Bazile, Faculté d'éducation Université de Montpellier Laurent Bazin, Université Paris Saclay Anissa Belhadjin, CY Cergy Paris Université Anne Besson, Université d’Artois Christine Boutevin, Faculté d'éducation Université de Montpellier Magali Brunel, Université Côte d’Azur Olivier Caïra, Université d’Évry Sonia Castagnet-Caignec, CY Cergy Paris Université Philippe Clermont, Université de Strasbourg Christiane Connan-Pintado, Université de Bordeaux Montaigne Judith Emery-Bruneau, Université du Québec en Outaouais Béatrice Ferrier, Université d’Artois Sonya Florey, Haute école pédagogique du canton de Vaud Pierre-Louis Fort, CY Cergy Paris Université Florence Gaïotti, Université d’Artois Benoit Glaude, Université Catholique de Louvain/Université de Gand Eléonore Hamaide-Jager, Université d’Artois Lydie Laroque, CY Cergy Paris Université Matthieu Letourneux, Université de Nanterre Mathilde Lévêque, Université Sorbonne Paris Nord Pierre Moinard, Université de Poitiers Christine Mongenot, CY Cergy Paris Université Isabelle de Peretti, Université de Lille et Université d’Artois Nathalie Prince, Université du Mans Hélène Raux, Sorbonne Université Virginie Tellier, CY Cergy Paris Université [1] Les actes de la première Biennale, organisée par l’Université de Cergy-Pontoise (2014) ont été publiés dans un ouvrage intitulé (D)écrire, prescrire, interdire : les professionnels face à la littérature de jeunesse aujourd’hui, paru en 2016. La deuxième Biennale (Université de Cergy-Pontoise et Université d’Artois 2017),intitulée Frontières et circulations : une littérature de jeunesse européenne au vingt-et-unième siècle ? a donné lieu, en 2019, à un numéro de la revue Les Cahiers Robinson (Université d’Artois, Arras). Les actes de la troisième Biennale (2021, Université de Cergy-Pontoise et BnF) seront prochainement publiés aux Presses Universitaires de Bordeaux sous le titre Médiations de la littérature de jeunesse : enjeux et pratiques. |
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